« Vanitas vanitatum, omnia vanitas », « vanité des vanités, tout est vanité », cette locution latine qui ouvre et clôt le Livre de l’Ecclésiaste (partie de la Bible hébraïque) illustre très bien le roman de Thackeray qui d’ailleurs la mentionne dans son texte. Pourtant vanité est un mot qui comporte plusieurs sens. Celui de l’Ecclésiaste doit être compris dans le sens de ce qui est vain, futile alors que l’acception moderne du terme se rapproche plus de la notion d’orgueil. Mais finalement, La Foire aux Vanités met en scène les deux sens même si celui d’orgueil est plus évident.
Thackeray nous présente donc sa foire aux vanités comme un spectacle de marionnettes, il met en scène une multitude de personnages dont il précise bien qu’aucun n’est prépondérant. Pourtant le lecteur en retient surtout un : Rebecca Sharp alias Mistress Rawdon Crawley. Car si l’un des personnages symbolise à lui seul les deux sens du terme vanité, c’est bien celui-là. Rebecca, Becky pour les intimes, est issue du milieu populaire mais sera élevée parmi les jeunes filles de haut rang grâce à un acte de charité. Elle est destinée à devenir gouvernante mais Becky a de bien plus grandes ambitions.
Elle n’hésite sur aucun moyen, n’a aucun scrupule pour parvenir à ses fins. Séduisante, intelligente, rusée et dotée d’un excellent sens de la répartie, Rebecca tour à tour séduit, amuse et agace. Difficile pour le lecteur de se positionner dans ces conditions, on l’aime et on la déteste mais toujours est-il qu’elle ne laisse pas indifférent. Becky n’est pas non plus sans me rappeler un personnage balzacien qui regroupe à peu près les mêmes traits de caractère. Oui Becky me fait un peu l’impression d’être une version féminine de ce cher Vautrin.
« C’est à ma petite cervelle », se disait tout bas Becky, « que je dois d’en être venue où je suis. Du reste, pour rendre justice à l’humanité, il faut avouer qu’elle est bien bête. »
A côté de Becky, évoluent bien d’autres personnages que Thackeray a su dépeindre avec minutie en insistant particulièrement sur leur principal défaut : la vanité. Tous ont ce travers mais l’expriment de façons très diverses. J’ai beaucoup aimé tous ces personnages dans lesquels on retrouve forcément un peu de soi, il est donc difficile de les condamner totalement et on s’attache automatiquement à eux.
Il faut dire que Thackeray fait tout pour faire entrer son lecteur dans la danse … pardon … dans la foire. Il s’adresse directement à lui, lui donnant du « cher lecteur » ou « ami lecteur » , style qu’a employé aussi Charlotte Brontë dans Jane Eyre (dont la deuxième édition est d’ailleurs dédiée à Thackeray). Mais surtout, Thackeray ne lésine pas sur les sarcasmes, tourne en ridicule ses personnages et s’arrange toujours pour nous en montrer ce qui aurait du rester honteusement dans l’ombre. Autant dire qu’on se régale, qu’on s’amuse, qu’on rit et que ce roman est un délice de lecture.
Les chapitres sont assez courts et s’enchaînent rapidement. Selon l’évolution du récit, ils alternent entre plusieurs personnages. Chaque chapitre a un titre qui encourage bien souvent à poursuivre sa lecture avec curiosité. Par exemple :
« Le moyen de mener grand train sans un sou de revenu » ou encore :
« Où le lecteur se trouve introduit dans la meilleure société » mais aussi :
« Charade en action qu’on donne à deviner au lecteur ».
Le contexte n’est pas non plus oublié. Contrairement à de nombreux romans de l’époque qui se contentent de faire évoluer leurs personnages dans un cadre géographique restreint et dans une sphère hermétique aux évènements extérieurs, Thackeray, lui, insère son récit dans l’Histoire et dans le monde. On assiste au retour de Napoléon sur la scène européenne, à la bataille de Waterloo, on vogue des côtes britanniques au continent, France, Belgique, Allemagne mais aussi vers les colonies. Bref, l’auteur ancre son histoire dans une époque et on la sent vivre. J’avoue avoir apprécié d’avoir le point de vue anglais sur la bataille de Waterloo et la période des Cent jours.
Thackeray parsème aussi son récit de quelques digressions consacrées à la critique de la société, à des conseils sur l’éducation des enfants, ou sur comment se comporter en société pour se faire bien voir, sur l’absurdité de la guerre, sur le devoir de charité des plus aisés envers les plus pauvres.
Thackeray m’a parfois rappelé Balzac par son plaisir à piquer là où ça fait mal mais peut-être le fait-il de façon beaucoup plus ironique en utilisant surtout l’humour et le ridicule comme armes :
« Autrement vous pourriez m'attribuer à moi les moqueries dédaigneuses de miss Sharp en présence de ces pratiques de dévotion qu'elle trouve si ridicules, son rire insolent à la vue du baronnet ivre comme le vieux Silène. Loin de là, au contraire, ce rire part d'une personne qui n'a de respect que pour l'opulence, d'admiration que pour le succès. On en voit beaucoup de cette espèce vivre et réussir dans le monde, gens auxquels il manque la foi, l'espérance et la charité. Attaquons-les, mes chers amis, sans relâche ni merci. Il y en a d'autres encore qui ont pour eux le succès, mais chez eux tout est sottise et platitude; c'est pour les combattre et les marquer qu'on nous a donné le ridicule. »
Je vous quitte sur cet extrait en vous conseillant vivement de vous lancer vous aussi dans La Foire aux Vanités. Je sais, c’est un pavé, mais qui se lit très vite et qui nous manque une fois terminé.
Je remercie mille fois Litté qui a lancé cette lecture commune et m'a permis de passer un si bon moment de lecture.