« La vie est un chemin de rosée dont la mémoire se perd. »
Qui se souviendra de nous lorsque nous nous serons éteints, si nous ne laissons derrière nous aucune famille, aucun ami, aucun héritage, aucune trace ?
Préserver la mémoire et l’œuvre de son maître, tel a été le souci de Matabei après l’événement.
Lui-même hanté par ses souvenirs, Matabei se réfugie à la pension de dame Hison, asile de tous ceux qui cherchent à fuir le monde, à s’isoler et mener une vie discrète et libre.
Le cadre est enchanteur. Le jardin, soigneusement entretenu par le maître puis par Matabei, offre un petit aperçu terrestre du Paradis.
Mais cette vie édenienne prendra fin, tout comme dans l’histoire biblique, dès lors que le péché aura été commis. Plus qu’à une chute, c’est à l’apocalypse que Matabei soit survivre.
Hubert Haddad parvient talentueusement à immerger son lecteur dans l’atmosphère douce du Japon. A l’instar des pensionnaires de dame Hison, le lecteur se sent hors du temps et se laisse bercer par la plume délicate et poétique de l’auteur. De nombreuses descriptions sont tout autant d’hommages à la nature luxuriante et pleine de vie de ce coin de l’archipel nippon. Les lecteurs de Pays de neige de Kawabata ressentiront comme un air familier à la fois par l’intrigue liant les personnages et par cette préséance accordée à l’environnement. Cette lecture onirique peut toutefois gêner par la surabondance de ces descriptions qui provoque à terme un effet répétitif et lassant.
Heureusement, la dure réalité se rappelle inopinément aux personnages et au lecteur. La lecture s’accélère, la rupture avec ce qui précède est évidente et radicale. La nature luxuriante cède sa place à un paysage de mort et de désolation. Après l’insouciance et la douceur de vivre, c’est l’errance et la tentative de retrouver ce qu’on a perdu. Mais il est plutôt temps de laisser les fantômes s’éloigner et de songer à la trace que l’on veut laisser de notre passage sur Terre. Matabei tente d’exorciser ses vieux démons en restaurant les éventails abîmés de son maître afin de transmettre ce patrimoine et d’encrer dans le papier de riz ses liens intimes et solides entre maître et élève, liens de substitution aux liens parentaux brisés ou perdus.
Le peintre d’éventail est un roman contemplatif d’une grande beauté. On y retrouve des traits communs à d’autres œuvres d’Hubert Haddad : la solitude, la perte de ses parents, la trahison, la nature, les conséquences désastreuses des actions humaines. Après la guerre dans Opium Poppy, c’est la dangerosité de la science qu’Hubert Haddad pointe du doigt en insérant le fictionnel dans la réalité par l’évocation du drame de Fukushima.
Le drame est matériel, environnemental, humain mais aussi sentimental, les personnages subissent le choc et le lecteur n’est pas épargné. En tout cas, ma sensibilité a fait qu’un détail inattendu de l’intrigue entre les personnages m’a à ce point surprise et attristée que j’en ai versé une larme.
L’Homme est dangereux pour la nature, la nature est dangereuse pour l’Homme. Face à sa puissance, nous ne sommes que grains de poussière aussitôt balayés d’un coup d’éventail.
Un grand merci à Anna et aux éditions Folio.